Lorraine Dietrich B2-6 torpédo de 1922

C’est encore lors du passage du Rallye des Clubs de Marque (à Epinal, 2017) que j’ai eu le privilège de découvrir la « maman » des fameuses Lorraine Dietrich B3-6, la B2-6 sortie en 1920.

En effet, je ne sais pas combien il en reste (est-elle unique?) mais ce sublime torpédo B2-6 de 1922 (châssis n° 120189) possède déjà tous les gènes de celle qui sera le plus grand succès de la marque!

La B2-6 (qui succède au prototype A1-6) est présentée en 1920 au côté de la grosse 30 HP (6 cylindres de conception avant 17re guerre) et la petite 12 CV (fabriquée chez Clément-Bayard) ce qui fait que Lorraine Dietrich présente une gamme complète. Et même si elle laisse rapidement la place à une B3-6 (en 1923), on peut dire qu’elle est bien née!

Son moteur 6 cylindres (15 HP) de 75-130 a été crée par Barbarou (et peut-être inspiré par un moteur Buick?)

On constate que ses culbuteurs sont cachés dans 3 boites à graisse au dessus du bloc mais aussi que leurs tiges sont apparentes.

Pour la suspension, on voit bien les ressorts cantilever inclinés, secret de la bonne tenue de route de cette voiture tout en maintenant un bon confort.

 

La calandre reprend, en plus petit, la forme de celle de la 30 CV (et je trouve qu’elle est un parfait « trait-d’union » entre les calandres d’avant ’14 et celles des B3-6!

Sa carrosserie est simple mais élégante, bien proportionnée et parfaitement bien finie.

Voici une présentation complète datant de juin 1921 dans Omnia:

LA LORRAINE DIETRICH  15 CV

POURQUOI est-elle la moins chère des six cylindres actuelles, alors qu’elle est cependant une des meilleures ?

Car l’expérience personnelle que j’ai de cette voiture me permet d’affirmer ses hautes qualités ; il ne me reste donc qu’à expliquer les raisons de son bon marché.

Le tableau que nous donnons des caractéristiques de ce châssis, et les nombreuses illustrations qui accompagnent ce texte, permettront à nos lecteurs de pénétrer tout seuls dans le détail du mécanisme. Mon rôle consistera à leur exposer la formule de ce modèle et en quelque sorte l’esprit qui l’a créé. On devine, au surplus, que le père de ce brillant enfant est le directeur technique des usines de la Lorraine, M. Barbarou, de qui j’ai souvent déjà montré l’esprit pratique et l’originalité.

Détruisons tout d’abord une objection, qui vient naturellement à l’esprit lorsqu’on entend parler de « meilleur marché », et qui nous barre la route.

II y a, pense-t-on, deux façons de faire du « meilleur marché », et elles sont toutes les deux déplorables: ou bien on abaisse la qualité de la matière première ; ou bien on diminue le nombre des fonctions et des perfectionnements. De même on peut établir à meilleur compte un vêtement soigné si on introduit du coton dans le drap qui en fait la base, ou si on en réduit le col, les basques, les pavements et toute la décoration.

La méthode de M. Barbarou consiste, au contraire, à ne prendre d’étoffe que de laine pure, parce que les coutures y sont plus solides et qu’il n’est pas nécessaire de les multiplier; mais, s’il n’admet qu’un drap de grande valeur, il entend ne le tailler qu’après avoir longuement réfléchi la forme propice de chacun des morceaux qu’il y prendra, afin de ne pas gâcher le tissu précieux.

Lorsqu’un organe est jugé par lui superflu, il le supprime net ; indispensable au contraire, il le multiplie pour mieux assurer encore la fonction qu’assume cet organe. Ce n’est pas lui qui vous met une belle rangée de boutons sur le derrière, où ils ne servent de rien, comme en portent les académiciens et les pompiers ! Mais, pour vous permettre de fermer votre col, il mettra, et au bon endroit, deux boutons plutôt qu’un seul.

Premier exemple. Il supprime une des vitesses et adopte la boite à trois combinaisons, comme le font les Américains, parce que le bon sens le veut.

Ce sont, en effet, les moteurs de petite puissance qui, contrairement aux usages, doivent être attelés à des boites à quatre vitesses ; les conducteurs de moteurs qui donnent une vingtaine de chevaux sur un châssis relativement léger constatent tous l’inutilité, je dirai même la gêne, de la troisième vitesse qui, à proprement parler, dans de telles conditions, ne correspond pas à un besoin.

M. Barbarou a compris qu’en somme le conducteur adroit ne prend plaisir qu’à demeurer constamment en prise directe, côtes comprises. II lui a donc donné un moteur assez puissant et assez souple, sur un châssis assez léger (parce que toute inutilité y a été supprimée), pour qu’on puisse en somme définir la 15 Lorraine une voiture à une seule vitesse normale, avec deux vitesses de secours pour les rampes extraordinaires. Au point de vue du brio des démarrages et de « l’enlevé » dans les côtes, ce châssis rappelle étonnamment la lointaine voiture à vapeur de Serpollet, qui donnait si bien l’impression de l’envol et de la disparition de la côte sous la voiture.

Autre exemple. La 15 Lorraine est si loin d’être une amputée qu’elle possède au contraire surabondance de fonctions ou d’organes, là où l’ingénieur les a jugés nécessaires : le graissage, fait sous pression, avec clapet limiteur de pression, filtres, manomètre, etc., monte à travers les bielles jusqu’aux axes de pistons – ce qui n’est pas commun, même aux châssis dits de luxe ! – Les tambours de freins sont inaccessibles à l’huile parce que les précautions contre la pénétration de liquide en ces organes ont été multipliées, etc.

Le grand principe directeur dans la construction de cette 15 chevaux est donc celui-ci : suppression impitoyable de toutes les inutilités ; renforcement de toutes les utilités ; emploi exclusif de matériaux de tout premier ordre.

Un tel programme exige évidemment la discussion lente et patiente, judicieuse et mûrie, de tous les organes du châssis et des procédés à employer pour les réaliser.

Une fois encore, prenons un exemple, celui de la direction qui, ceci en passant vite, est bien, dans la 15 Lorraine, la plus douce et la plus précise des directions connues.

Lorsqu’une voiture est assez complète, et c’est bien le cas ici, pour comporter manette d’avance à l’allumage et manette d’admission du gaz, on trouve généralement ces manettes sur le volant de direction. Les manettes se déplacent autour d’un ou deux secteurs, selon le cas. L’ensemble secteur-manettes tourne avec le volant ; ou bien les manettes restent fixes lorsque le volant tourne. Les manettes d’ailleurs présentent des formes différentes: elles sont maintenues en place par une denture que porte le secteur, ou bien par un dispositif de freinage avec ressort, etc.

Or, si l’on y veut bien réfléchir, on s’aperçoit que la position des manettes sous le volant présente à tous points de vue des avantages.

D’abord le volant est complètement libre ; on n’accroche plus dans les secteurs et manettes ni ses manches ni ses doigts, ainsi qu’il arrive fréquemment. Ensuite on peut manœuvrer les manettes sans lâcher le volant ; il suffit de deux doigts (index et majeur). Manettes par dessus, il vous faut ou bien employer le pouce et l’index, ce qui est peu commode ; ou bien lâcher complètement de cette main la jante du volant, ce qui est dangereux. Louis Renault l’a compris de longue date, et nous trouvons sous le volant la manette de gaz, dans tous ses châssis. Barbarou confirme avec raison dans sa 15 chevaux cette solution toute faite d’expérience.

La réalisation de direction qu’a faite Barbarou est d’ailleurs fort remarquable, car les commandes y sont obtenues avec le minimum de pièces que probablement on puisse employer. Les tringles de commande des manettes sont extérieures au tube de direction; la figure V indique que leur montage est extrêmement simple. Le prix de revient ici ne peut en aucune façon être comparé à celui de la direction à tubes concentriques qu’on est contraint d’employer lorsqu’on place les manettes par dessus le volant.

Les manettes sous le volant procurent donc à la fois la sécurite de direction et le « bon marché » de fabrication. N’est-ce là qu’un « détail » ?

Il n’est rien qui soit négligeable en 1921 dans l’établissement de ce paradoxe qu’est une « voiture de luxe bon marché ».

Le moindre écrou doit être discuté, pesé, mesuré, retourné – et supprimé ou renforcé, selon qu’en somme, examen fait et terminé, il joue un rôle de tradition ou de réelle utilité.

Sur cette très grave question de l’orientation de notre fabrication, je prierai nos lecteurs de se reporter à la longue étude que je lui ai consacrée dans le numéro d’ Omnia de mai 1920. On ne peut qu’en répéter les termes.

Nous nous trouvons, depuis la guerre, dans la construction automobile, en présence de deux méthodes : l’ancienne, très et trop suivie encore, qui voit la pièce selon une esthétique classique, vieillotte, il faut l’avouer, et presque dédaigneuse du prix de revient; la moderne, que nous a suggérée, reconnaissons-le, l’Amérique, qui consiste à ruminer pendant plusieurs semaines le problème de la moindre pièce à faire, afin de trouver la forme, la matière et l’outillage qui l’adapteront complètement et à la fois à sa fonction et à une comptabilité de haute précision.

La vieille méthode dit : « Cette pièce coûte ce qu’elle coûte ! » – La jeune méthode ne cesse de répéter :  « Qu’est-ce que coûte cette pièce ? « 

Les deux principaux obstacles à une fabrication bon marché sont évidemment la matière première et la main-d’oeuvre, aujourd’hui trois et quatre fois plus chères qu’en 1914. II faut donc consommer de l’une et de l’autre le moins possible.

Or, et pour ne nous en tenir qu’à la matière première, si l’on a la curiosité d’établir la décomposition des natures de pièces qui entrent dans l’ensemble d’un châssis moderne, s’il est conçu selon l’antique usage, on constate que la nature de pièce qui charge le plus un prix de revient de châssis est la pièce forgée, ce qui s’explique par la lenteur des procédés de forge et par la qualité des ouvriers forgerons, double élément de l’élévation de prix de cette main-d’oeuvre. D’autre part on constate que les barres, les tubes, les métaux en planches, c’est-à-dire les métaux dans leur premier état de transformation, l’état qui nécessite le moins de main-d’oeuvre, n’accroissent pas beaucoup le prix d’un châssis, bien qu’ils entrent en grand nombre dans sa constitution.

Donc, pour produire à bon compte, il est indispensable : d’une part, d’employer la matière le plus possible dans la forme où elle est livrée aux constructeurs par les hauts fourneaux, les laminoirs, les bancs d’étirage, les fonderies, etc…; d’autre part, de s’ingénier à découvrir, jusque dans les plus petits cas, le procédé qui permettra à la pièce de s’éloigner le moins possible de ce premier état si économique.

II s’ensuit que la conception aussi des moyens par lesquels la pièce sera obtenue joue un rôle considérable dans le prix de revient du châssis. J’ai parlé tout à l’heure du forgeron ; appelons maintenant l’ajusteur. Quel sera son rôle ?

L’ajusteur est, parmi les ouvriers, l’un des plus habiles, un de ceux qu’on ne peut improviser, donc l’un des plus payés. Par conséquent son adresse ne doit plus, comme autrefois, charger de son coût le prix de revient de châssis fabriqués en séries importantes, qui doivent s’assembler dans leurs éléments sans recevoir un seul coup de lime. L’adresse de l’ajusteur s’appliquera désormais aux machines de haute précision, aux machines-outils perfectionnées qui doivent, sans que la main de l’homme la touche, produire en grandes séries la pièce qui va constituer les châssis.

Toute oeuvre d’ajustage sera donc supprimée sur le châssis. Tout réglage à la lime sera remplacé par un réglage à vis et écrous (réglage des poussoirs de soupapes, des dentures, etc.). Tous les modes de montage anciens seront réformés, les clavettes coniques, par exemple, d’ajustage si délicat, seront remplacées par des dentures faites à la machine, etc.

De tels procédés, basés sur l’expérience de l’usine et de la route, conduisent, et par la seule voie saine qui soit, au châssis léger; donc, et j’insiste, au châssis solide, au châssis de qualité. 

Je voudrais, en m’appuyant une fois encore sur un exemple tiré de cette 15 chevaux, montrer à nos lecteurs combien les qualités d’une voiture sont, par le lien même des choses, les unes aux autres enchaînées.

Cette voiture, très robuste, est très légère, je viens de le dire. Elle consomme donc fort peu, par rapport à la vitesse qu’elle donne; elle n’a besoin, pour une étape moyenne de 300 kilomètres, je suppose, que d’un réservoir d’essence de capacité relativement faible. Alors qu’une autre six cylindres comportera un réservoir de 80 à 90 litres, celle-ci ne nécessite qu’un 50 litres.

Il en résulte que ce réservoir relativement petit peut être placé à l’avant du châssis, et qu’ainsi sont diminués encore le poids et le prix – puisque les longues tuyauteries, l’élévateur d’essence, etc., sont supprimés. C’est ainsi que la légèreté globale du châssis provoque une augmentation de la légèreté dans certains organismes, dans les détails.

Ajoutons qu’en l’espèce, et pour continuer à démontrer l’enchaînement des qualités d’un châssis, la situation du réservoir à proximité de la main du conducteur procure un avantage nouveau : le tuyau de départ du réservoir porte un robinet à trois voies qui, tourné en positions voulues, donne ou bien la fermeture, ou bien la marche sur la provision normale, ou bien la marche sur une provision de réserve de 5 litres.

Conséquences : suppression du bidon de secours, augmentation de la légèreté, accroissement des possibilités d’outillage, de bagages, etc.

Quand on est parti dans un bon chemin, sait-on jamais quelles découvertes rares on y peut faire ? Je viens d’en donner la démonstration. Le chemin que suit la Lorraine-Dietrich est celui de l’avenir; c’est bien le seul au bout duquel nous puissions trouver enfin des automobiles de grande valeur et de bon marché.

BAUDRY DE SAUNIER.

Et voici ce beau monument historique sous toutes les coutures… (J’espérais depuis longtemps la voir « en vrai » et, franchement, je ne suis pas déçu!) 🙂

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