voici encore un document déniché sur le site Gallica de la BNF. (Sur la 1ère page, c’est un tableau de Willems qui représente Théry (en Brasier) et Lancia (en FIAT) en plein virage.
J’ai d’abord été attiré par la superbe mise en page qui fait tourner la tête est particulièrement dynamique dans ses virages…!
Et pendant la lecture, je me suis délecté des détails de l’époque (1906, j’aime bien le conseil de ralentir au frein à main, par exemple…
Il ne faut pas oublier qu’en général le frein à pied freine la transmission, que le frein à main s’occupe des roues arrières et que, évidemment, il n’y a pas de freins à l’avant en ce temps là!) et des photos particulièrement réussie.
Il dirigera cette course jusqu’en 1956.
Pour ce qui est du pilote d’essai, Paul Faure, dit « le gros » dans l’article, je n’ai rien trouvé sur lui 🙁
Et pour la voiture d’essai, rien n’est précisé mais je pense que ça peut être une FIAT (ou une ITALA)…
Et maintenant, bonne lecture 🙂
L’ART DE PRENDRE LES VIRAGES
Tous ceux qui ont assisté au passionnant spectacle d’une grande épreuve d’automobiles sur route ont saisi d’instinct l’immense importance qu’a, pour le coefficient personnel de chaque conducteur, sa manière propre de prendre les virages. Mais nos lecteurs se sont-ils préoccupés d’estimer par quel gain de temps peut se traduire la supériorité d’habileté ? Peut-être que non. Or, il est permis d’affirmer que sur un virage à angle droit raccordant deux alignements, un homme comme Lancia peut prendre jusqu’à six ou sept secondes à un conducteur moyen, et six ou sept secondes à l’allure de course, cela représente deux cents mètres. C’est dans cette merveilleuse virtuosité du grand conducteur italien qu’il faut trouver la raison essentielle de sa brillante marche à la Coupe Gordon Bennett et à la Coupe Vanderbilt. A Brescia, au contraire, où les lignes droites abondent, Lancia se classe en fort bon rang, mais à aucun moment, il ne galope par-dessus le lot. Sa valeur personnelle a moins d’importance.
En dehors des courses, pour le touriste, la manière de virer joue également un grand rôle. Les voitures des types courants sont généralement moins stables et le renversement peut être à craindre. Quand le virage est pris suivant les bonnes règles, on passe à la même vitesse en diminuant le danger, ou bien on passe plus vite sans courir un plus grand risque.
J’ajoute d’ailleurs que, même en dehors de l’extrême danger, il importe de virer au mieux pour diminuer dans des proportions appréciables la fatigue, par conséquent l’usure des bandages.
Quand une automobile parcourt une courbe, elle est dans le sens transversal, sollicitée par la force centrifuge. Celle-ci est proportionnelle à la masse du véhicule, au carré de la vitesse et inversement proportionnelle au rayon. Son point d’application est le centre de gravité: par suite, l’effort de renversement sera, à force égale, d’autant plus grand que la voiture sera plus haute. Nous trouvons là, en passant, la raison pour laquelle les voitures du Circuit d’Auvergne -si abondant en virages- étaient assez basses.
Ce que j’ai dit sur la mesure de la force centrifuge montre que pour une voiture déterminée il y a une limite de vitesse pour chaque rayon de virage, et qu’il y a le plus grand intérêt à augmenter le rayon du virage. En outre, il tombe sous le sens que pour un même rayon, la limite de vitesse sera augmentée s’il y a un devers; cette remarque est appliquée dans tous les vélodromes.
Supposons un virage à gauche. On pourrait être tenté d’attaquer le virage en tenant sa gauche sur la route qui le précède, de tourner en conservant la corde et de sortir à gauche. La méthode n’est pas complètement mauvaise, mais elle ne donne pas la meilleure utilisation de vitesse. Il faut attaquer le virage en dehors, pour augmenter le rayon de courbure, se rabattre à la corde pour profiter du dévers, et ne sortir qu’à la corde.
La Vie au Grand Air a demandé au populaire Paul Faure de bien vouloir poser pour les photographies qui illustrent cet article. Il n’était guère possible de faire un meilleur choix. « Le Gros », comme on l’appelle dans les milieux automobiles, est un vireur d’une audace et d’une habileté incroyables et je le considère comme un des meilleurs conducteurs français. Il est d’ailleurs assez probable, sinon certain, qu’il va revenir aux grandes épreuves et la voiture qu’il montera aura, de ce fait, une bonne chance.
Quelques mètres plus loin, tout est remis dans l’ordre ; la voiture file dans une rectitude parfaite.
A noter également au milieu du virage l’écrasement des pneus et des ressorts extérieurs, la détente au contraire des mêmes organes placés à l’intérieur.
Je mentionne que la difficulté du virage est sensiblement augmentée quand, ainsi que c’était le cas pour les Darracq 1905, la voiture n’a pas de mécanisme différentiel. On s’en tire à force d’audace et d’adresse. Hémery et Wagner sont passés maîtres dans cette acrobatie spéciale.
Les règles données plus haut ne doivent être appliquées qu’en course, quand on veut gagner le plus de temps possible. Un touriste doit être beaucoup plus prudent. Dans un virage à gauche, il doit ralentir sensiblement, puisqu’il doit garder sa droite et être par conséquent sur le dévers.
Faut-il débrayer dans un virage ?
Non, je ne le pense pas, encore que la question soit assez controversée. De même, un coureur qui couperait l’admission ou l’allumage pendant toute la longueur d’un virage ferait preuve d’une prudence exagérée. Il faut attaquer à l’allure convenable, et aussitôt les roues braquées, utiliser la puissance du moteur.
Conclusion En somme, ces règles sont plutôt inspirées par l’instinct; la théorie les confirme, les explique, mais rien ne saurait remplacer ce qui caractérise les grands conducteurs : l’exacte appréciation des distance, la connaissance précise de la vitesse à laquelle on marche et ce quelque chose d’intraduisible qui fait que le conducteur sent la limite exacte des résistances.
Faute de tout cela, on s’expose à l’accident. Demandez plutôt à mon camarade Paul Sencier. Il vous dira comment le signataire de ces lignes, ayant dépassé la limite de vitesse imposée par un virage, a bien failli se « fausser ». Fort heureusement, -il y a une providence pour les imprudents- on s’en est tiré avec dérapages, tête à queue, zigzags, etc.
On a donné dans différents music-halls des cinématographies de la Coupe au Taunus et en Auvergne. Mieux peut-être que la course elle-même, les films pris dans un virage donnaient cette impression d’angoisse que l’on ressent au passage des concurrents et qui est faite de la crainte de les voir manquer leur virage et venir s’écraser sur le talus d’en face. C’est celle qu’exprime le tableau de Willems dont nous donnons en première page une reproduction.
C. FAROUX.