voici encore un document déniché sur le site Gallica de la BNF. (Sur la 1ère page, c’est un tableau de Willems qui représente Théry (en Brasier) et Lancia (en FIAT) en plein virage.
J’ai d’abord été attiré par la superbe mise en page qui fait tourner la tête est particulièrement dynamique dans ses virages…!
Et pendant la lecture, je me suis délecté des détails de l’époque (1906, j’aime bien le conseil de ralentir au frein à main, par exemple…
Il ne faut pas oublier qu’en général le frein à pied freine la transmission, que le frein à main s’occupe des roues arrières et que, évidemment, il n’y a pas de freins à l’avant en ce temps là!) et des photos particulièrement réussie.
Le texte est signé Charles Faroux (1872-1957), passionné d’automobiles et de sport depuis les premières heures, journaliste à La Vie Au Grand Air, La Vie Automobile et Très Sport mais surtout, quelques années après, à l’origine du fameux « Grand Prix d’Endurance de 24 heures / Coupe Rudge-Whitworth », c’est à dire des 24 Heures du Mans dès 1923.
Il dirigera cette course jusqu’en 1956.
Pour ce qui est du pilote d’essai, Paul Faure, dit « le gros » dans l’article, je n’ai rien trouvé sur lui 🙁
Et pour la voiture d’essai, rien n’est précisé mais je pense que ça peut être une FIAT (ou une ITALA)…
Et maintenant, bonne lecture 🙂
L’ART DE PRENDRE LES VIRAGES
Le conducteur le meilleur est celui qui prend le virage à la plus grande vitesse compatible avec les limites de résistance sans augmenter le danger. En pareille matières, rien ne saurait suppléer à une longue pratique.
Tous ceux qui ont assisté au passionnant spectacle d’une grande épreuve d’automobiles sur route ont saisi d’instinct l’immense importance qu’a, pour le coefficient personnel de chaque conducteur, sa manière propre de prendre les virages. Mais nos lecteurs se sont-ils préoccupés d’estimer par quel gain de temps peut se traduire la supériorité d’habileté ? Peut-être que non. Or, il est permis d’affirmer que sur un virage à angle droit raccordant deux alignements, un homme comme Lancia peut prendre jusqu’à six ou sept secondes à un conducteur moyen, et six ou sept secondes à l’allure de course, cela représente deux cents mètres. C’est dans cette merveilleuse virtuosité du grand conducteur italien qu’il faut trouver la raison essentielle de sa brillante marche à la Coupe Gordon Bennett et à la Coupe Vanderbilt. A Brescia, au contraire, où les lignes droites abondent, Lancia se classe en fort bon rang, mais à aucun moment, il ne galope par-dessus le lot. Sa valeur personnelle a moins d’importance.
En dehors des courses, pour le touriste, la manière de virer joue également un grand rôle. Les voitures des types courants sont généralement moins stables et le renversement peut être à craindre. Quand le virage est pris suivant les bonnes règles, on passe à la même vitesse en diminuant le danger, ou bien on passe plus vite sans courir un plus grand risque.
J’ajoute d’ailleurs que, même en dehors de l’extrême danger, il importe de virer au mieux pour diminuer dans des proportions appréciables la fatigue, par conséquent l’usure des bandages.
Comment doit-on virer. Il n’est pet t-être pas superflu de dire, en manière de préliminaire, que tout ce qu’on va lire ne s’adresse nullement aux chauffeurs pratiquants. Tous ceux qui ont roulé à allure un peu vive ont dû, soit d’instinct, soit par réflexion, soit à la suite d’accidents, respecter les règles. Je n’ai d’autre prétention que de rappeler ces dernières :
Quand une automobile parcourt une courbe, elle est dans le sens transversal, sollicitée par la force centrifuge. Celle-ci est proportionnelle à la masse du véhicule, au carré de la vitesse et inversement proportionnelle au rayon. Son point d’application est le centre de gravité: par suite, l’effort de renversement sera, à force égale, d’autant plus grand que la voiture sera plus haute. Nous trouvons là, en passant, la raison pour laquelle les voitures du Circuit d’Auvergne -si abondant en virages- étaient assez basses.
Ce que j’ai dit sur la mesure de la force centrifuge montre que pour une voiture déterminée il y a une limite de vitesse pour chaque rayon de virage, et qu’il y a le plus grand intérêt à augmenter le rayon du virage. En outre, il tombe sous le sens que pour un même rayon, la limite de vitesse sera augmentée s’il y a un devers; cette remarque est appliquée dans tous les vélodromes.
Cela dit, et étant admis que les routes sont bombées, nous allons voir comment le conducteur doit faire pour réaliser les meilleures conditions du virage.
Supposons un virage à gauche. On pourrait être tenté d’attaquer le virage en tenant sa gauche sur la route qui le précède, de tourner en conservant la corde et de sortir à gauche. La méthode n’est pas complètement mauvaise, mais elle ne donne pas la meilleure utilisation de vitesse. Il faut attaquer le virage en dehors, pour augmenter le rayon de courbure, se rabattre à la corde pour profiter du dévers, et ne sortir qu’à la corde. On constate en effet qu’il y a un certain danger à sortir trop vite sur le bombement de la route. La voiture serait emmenée à l’extérieur, en dépit des efforts du conducteur.
La Vie au Grand Air a demandé au populaire Paul Faure de bien vouloir poser pour les photographies qui illustrent cet article. Il n’était guère possible de faire un meilleur choix. « Le Gros », comme on l’appelle dans les milieux automobiles, est un vireur d’une audace et d’une habileté incroyables et je le considère comme un des meilleurs conducteurs français. Il est d’ailleurs assez probable, sinon certain, qu’il va revenir aux grandes épreuves et la voiture qu’il montera aura, de ce fait, une bonne chance.
Cette série de photographies montre comment le conducteur doit virer en course. C’est d’abord le commencement de l’attaque: la voiture a quitté le milieu de la route et se présente à l’extérieur, puis elle se rabat peu à peu à la corde qu’elle tient serrée. A la sortie, la voiture est encore à la corde, l’arrière un peu déporté. Les conducteurs adroits savent effet profiter d’un léger dérapage pour augmenter la vitesse de passage.
Quelques mètres plus loin, tout est remis dans l’ordre ; la voiture file dans une rectitude parfaite.
A noter également au milieu du virage l’écrasement des pneus et des ressorts extérieurs, la détente au contraire des mêmes organes placés à l’intérieur.
Je mentionne que la difficulté du virage est sensiblement augmentée quand, ainsi que c’était le cas pour les Darracq 1905, la voiture n’a pas de mécanisme différentiel. On s’en tire à force d’audace et d’adresse. Hémery et Wagner sont passés maîtres dans cette acrobatie spéciale.
Les mauvais virages. Mais supposons un virage mal pris sur le dévers, soit à trop grande vitesse, soit enfin suivant une courbe dont les rayons successifs ne varient pas très insensiblement. Les suites sont toujours désastreuses. Ou la voiture est surbaissée, et le tête à queue peut survenir après un dérapage important: les conséquences ne seront très graves que si dans son mouvement la voiture rencontre un obstacle; ou cette voiture est assez haute, et alors c’est le renversement, qui peut avoir des suites très sérieuses.
Les règles données plus haut ne doivent être appliquées qu’en course, quand on veut gagner le plus de temps possible. Un touriste doit être beaucoup plus prudent. Dans un virage à gauche, il doit ralentir sensiblement, puisqu’il doit garder sa droite et être par conséquent sur le dévers.
Faut-il débrayer dans un virage ?
Non, je ne le pense pas, encore que la question soit assez controversée. De même, un coureur qui couperait l’admission ou l’allumage pendant toute la longueur d’un virage ferait preuve d’une prudence exagérée. Il faut attaquer à l’allure convenable, et aussitôt les roues braquées, utiliser la puissance du moteur.
Conclusion En somme, ces règles sont plutôt inspirées par l’instinct; la théorie les confirme, les explique, mais rien ne saurait remplacer ce qui caractérise les grands conducteurs : l’exacte appréciation des distance, la connaissance précise de la vitesse à laquelle on marche et ce quelque chose d’intraduisible qui fait que le conducteur sent la limite exacte des résistances.
Faute de tout cela, on s’expose à l’accident. Demandez plutôt à mon camarade Paul Sencier. Il vous dira comment le signataire de ces lignes, ayant dépassé la limite de vitesse imposée par un virage, a bien failli se « fausser ». Fort heureusement, -il y a une providence pour les imprudents- on s’en est tiré avec dérapages, tête à queue, zigzags, etc.
Tout en observant ces règles générales, on peut dire que chaque conducteur a sa façon de virer. La manière de Théry n’est pas celle de Le Blon. et le coup de volant de Duray ne ressemble pas à celui de Lancia. Et puis il y a les imprudents! Quand nous parcourûmes, il y a quelques semaines, l’itinéraire du circuit de Fontainebleau, proposé pour le Grand Prix de l’A. C. F., nous nous trouvâmes en face d’un virage un peu sec, même pour d’honnêtes touristes. Et ce fut un cri unanime : « Voilà un virage pour X… ». Ici le nom d’un de nos plus sympathiques conducteurs, que l’on ne reverra peut-être plus en course et dont la dernière épreuve se termina dans un arbre.
On a donné dans différents music-halls des cinématographies de la Coupe au Taunus et en Auvergne. Mieux peut-être que la course elle-même, les films pris dans un virage donnaient cette impression d’angoisse que l’on ressent au passage des concurrents et qui est faite de la crainte de les voir manquer leur virage et venir s’écraser sur le talus d’en face. C’est celle qu’exprime le tableau de Willems dont nous donnons en première page une reproduction.
C. FAROUX.