La Carrosserie Moderne… oui, mais d’un point de vue de 1907!
(dans « Les Sports Modernes » datant de février 1907 et trouvé sur le site Gallica de la BNF):)
Cet article, de 1907 donc, présente les nouvelles carrosseries en les comparant aux « vieux tacots » (sic) d’avant et précisant que c’est depuis 1903, seulement!, que les carrossiers conçoivent des voitures qui ressemblent à des voitures… Du point de vue d’aujourd’hui, ces descriptions sont délectables… 🙂
Aussi, l’article explique les origines des carrosseries dites « Roi des Belges ».
Mis en goût par une initiative réussie, la ballade des vieux vélos, quelqu’un eut l’idée, l’automne dernier, d’organiser de la place de la Concorde à Ville-d’Avray, une promenade réservée aux premiers véhicules automobiles; ce fut la ballade des vieux tacots, selon le qualificatif argotique par lequel on désigne les modèles démodés et respectables qui furent les ancêtres audacieux de nos modernes automobiles.
Comme il était convenable qu’il le fût, la rétrospective caravane s’était massée devant l’hôtel de l’Automobile-Club de France, encadrée à droite par les coupés à chevaux qui stationnent devant le très aristocratique cercle Royal; à gauche, par quelques limousines automobiles, imposantes, gracieuses, étincelantes, dont les lanternes semblaient de gros yeux étonnés de l’étrange et inattendu spectacle qui leur était offert.
Et alors chacun put, sans préparation aucune, comparer profitablement hier et aujourd’hui.
Ceux qui viennent aujourd’hui à la locomotion mécanique ne sont point surpris de l’harmonie des lignes et du luxe de bon goût des automobiles actuelles. Il ne faudrait cependant pas remonter bien loin avec eux dans le passé pour qu’ils aient le sentiment d’admiration que provoquent irrésistiblement les prodigieux progrès réalisés en quelques années dans la carrosserie automobile. Ça n’est guère qu’en 1903 que nos carrossiers ont, en effet, trouvé les véritables lignes générales de la voiture mécanique; jusqu’alors ils étaient, en quelque sorte, restés dans des formes adaptées, solutions mixtes, hybrides, incertaines, équivoques, peu hardies, généralement laides et obligatoirement laides; c’est d’ailleurs une chose vraiment curieuse que de constater les si différentes influences qu’eut sur l’art merveilleux de la carrosserie la locomotion automobile.
Lorsque les premières voitures sans chevaux parurent, les inventeurs semblèrent se préoccuper tout d’abord non point d’établir un engin mécanique indépendant de la carrosserie qui lui serait nécessaire, mais de transformer les véhicules à chevaux alors existants en voitures à propulsion mécanique.
Tout naturellement, les constructeurs, fort soucieux de ne point exagérer leurs dépenses d’études, choisirent les types de voitures les plus simples, les moins coûteux, les plus rudimentaires. Ils en supprimèrent les brancards, en éventrèrent les planches et, entre les essieux et les roues et dans le vide des coffres, tentèrent de loger, en les y dissimulant, les organes mécaniques primitifs, bruyants, hoquetants, malodorants et irrégulièrement propulsifs.
C’est alors que l’on vit circuler ces véhicules équivoques, qui avaient le ridicule aspect d’être véritablement des voitures sans chevaux; on fut scandalisé, à bon droit d’ailleurs. Le goût inné des Français pour le beau, pour l’harmonieux fut choqué. Les premières automobiles étaient’inachevées; cette erreur initiale fit à la locomotion mécanique plus de tort qu’il ne convenait et qu’on ne saurait se l’imaginer; elle se prolongea trop longtemps, et c’est à vouloir conformer leurs créations mécaniques aux formes des carrosseries à chevaux que les constructeurs ont dû de retarder de quelques années sans doute la vraie formule pratique de l’automobile.
L’apparition et l’essor de l’automobile jetèrent dans le désarroi les carrossiers français; la plupart, pour ne pas. dire presque tous, se posèrent d’abord, au nom de l’esthétique, en ennemis résolus de la locomotion mécanique, dont les premières réalisations offensaient – cela est indiscutable – l’art de la carrosserie et bouleversaient une industrie qui, fixée, assise depuis longtemps, n’exigeait de ceux qui l’exploitaient tout tranquillement, placidement, sans trouble, saris fièvre, aucun effort nouveau.
Les capotes qui remplacèrent le dais furent une nouvelle et considérable victoire; puis il y eut les entrées par l’avant, l’un des deux baquets pivotant ou basculant; un des plus fiers progrès de la carrosserie automobile est dis à S. M. le roi des Belges; il n’est pas d’hier, il n’est pas non plus de si loin.
Le roi des Belges venait de commander un châssis à Charron; il se plaignait de l’inconfortabilité des carrosseries; dans le bureau où il contait ses doléances, s’étalaient vastes, larges, profonds, quatre écarlates fauteuils. Léopold II les voit, s’arrête, les empoigne les uns après les autres ; les groupe deux par deux, les uns derrière les autres, et les montrant :
« Voilà ce que je veux; quatre confortables fauteuils ! Ça n’est pourtant pas difficile !
– C’est entendu », dit F. Charron. Il fit aussitôt venir M. Auscher de la maison Rothschild, groupa les fauteuils et les montrant à l’adroit carrossier, lui dit :
« Voilà ce que veut le roi des Belges ; faites-lui un tonneau qui réalise ce que vous voyez.
– C’est entendu », répondit Auscher, et c’est ainsi que naquit dans la carrosserie automobile le tonneau roi des Belges qui eut, et qui a encore, tant de légitimes succès.
Les décisifs progrès n’ont été possibles dans la carrosserie automobile que du jour où l’on imagina l’entrée latérale. Elle fut appliquée pour la première fois par la Société Lorraine-Dietrich et la maison Renault frères en 1903, sur les indications de la carrosserie Kellner qui en eut, je crois, l’heureuse initiative dans une très heureuse inspiration.
La carrosserie avait dès lors trouvé sa véritable formule et, stimulée par le goût des acheteurs, épris de luxe, par celui des intermédiaires désireux de soumettre à leurs clients des voitures d’une impressionnante beauté, et par les récompenses décernées au cours des Salons aux plus beaux véhicules.
Les carrossiers s’attachèrent passionnément à produire des carrosseries incomparables par le confort, par l’élégance et par le chic dans le détail.
Deux modèles sont particulièrement intéressants; ils ont déjà pour eux la nouveauté; ce sont le vis-à-vis cab et le coupé-diligence, créés par MM. Rheims et Auscher (carrosserie Rothschild).
Les deux sont parfaitement conçus pour le grand tourisme; l’un est demi-fermé, le second fermé.
Dans l’intérieur, deux fauteuils dont l’un se transforme en fauteuil-lit, suspendus sur ressorts et garnis en velours vert. Une baie de trois quarts où se logent des tiroirs et des armoires en ébénisterie fine et en maroquinerie de luxe, au centre de l’armoire un lavabo à renversement et au-dessus une glace. Mais le tout se dissimule parfaitement et, dans la journée, le voyageur n’a devant lui que de jolies surfaces d’acajou rose. Au-dessus du siège-avant, une légère capote pliante. Sur le porte-bagages arrière trois malles et deux autres sur les marchepieds. Enfin, sur le pavillon, de fausses malles permettant de dissimuler l’outillage et les pneumatiques. Tout ceci, harmonieux et d’un goût exquis, rappelant – avec bonheur – les magnifiques voitures de voyage d’autrefois.
Ce désir intense du magnifique se manifeste également, d’une prestigieuse façon dans la carrosserie que Labourdette a établie pour S. M. le roi d’Espagne sur un châssis Delahaye; ce fut une des merveilles du dernier Salon. Nous la reproduisons, la signalons et nous y reviendrons à l’occasion.
La préoccupation des carrossiers, pour donner à l’automobiliste l’idéale voiture, les a conduits, d’autre part, à formuler leur ingéniosité dans des types vraiment charmants: les limousines pliantes.
Belvallette et Kellner ont, de façon différente, mais dans une excellente inspiration, chacun solutionné le problème.
La limousine pliante de Belvallette – elle est brevetée, s’il vous plaît – est une véritable et splendide limousine; fermée, rien ne la distingue d’une limousine ordinaire; elle est claire, porte toutes ses glaces, est confortable, offre un abri absolu, chaud, élégant. C’est par l’arrière qu’elle se découvre. L’arrière est, en effet, constitué par un parallélogramme qui s’abaisse de façon à découvrir la voiture et à former pare-poussière à l’arrière. L’avant ne se rabat pas; il est voulu, car les montants de la porte complètent le bâti, qui supporte un toit où peuvent prendre place bagages et bandages de rechange.
Cette création de Kellner est tout à fait jolie ; la voiture est au choix entièrement fermée ou entièrement découverte. Tout l’arrière, fait d’un cuir magnifique, joue sur des bras articulés, et se rabat et, abattu, forme pare-poussière; les glaces et les montants des portières disparaissent, escamotés dans la carrosserie; de même pour la glace d’avant. En trois minutes, la voiture est fermée ou découverte; la ligne est jolie, d’un gracieux dessin, d’une double harmonie seyant à la ville et à la campagne.
J’aime ces deux carrosseries; elles se recommandent par le caractère pratique. Belvallette a parachevé son oeuvre en grand artiste carrossier qu’il est; il a prodigué le fini en d’heureux détails, et pour assurer le confortable de sa limousine pliante, il l’a munie de banquettes coulissées qui permettent de la transformer en un véritable wagon-lit muni de couchettes moelleuses.